Il attendait.
Le monde se pressait alors que les portes du train signalaient un départ imminent. Les discussions se terminaient en toute hâte, on se lançait des au revoir, la main au ciel, en accélérant le pas. Un tohu-bohu convivial, comme une avalanche de sourires francs et esquissés. Dans la foule, quelques mines renfrognées et soucieuses, des mains dans les poches et le pas décidé. La chaleur de l’été n’avait pas dit son dernier mot, et le soleil avait ce toucher chaud et réconfortant des fins de journée qui s’amenuisent. L’air était frais, la soirée était pleine de promesses.
Le train de banlieue venait de repartir, laissant sur le quai ces étudiants, cadres supérieurs, artistes et ouvriers, pères et mères de famille, qui s’acheminaient à présent vers le parking de la gare. Bientôt, ils grimperaient dans leurs bolides et feraient route vers leur nid douillet. Comme tous les soirs, ils tourneraient à droite, puis à gauche, avant de rejoindre ce chemin de gravillons qu’ils connaissent si bien. C’est là qu’ils gardent précieusement leurs secrets inavouables, leurs danses de la joie, leurs larmes et leurs angoisses. Un lieu sacré dont peu de personnes possèdent la clef. Comme tous les soirs, ils pressaient le pas.
Mais lui, il attendait. Avec la confiance et la détermination de celui qui sait pourquoi il attend. Les pieds bien ancrés dans le sol, son sac-à-dos sur les épaules, et les yeux scrutant l’horizon, il avait l’assurance des femmes de marins.
À la sortie de l’école
Son regard s’illumina soudain, il avait vu la voiture déboucher sur l’avenue. Il sourit. Il savait qu’il pouvait compter sur moi.
Ça m’a ramenée des années en arrière, alors que j’attendais devant le collège. Tous les après-midi, mes parents venaient me chercher en voiture. J’occupais ces moments d’attente avec ma meilleure amie, on débriefait de la journée et des derniers potins. On révisait les chorés pour le cours de danse à venir, on parlait de quand on serait grandes. C’était une attente heureuse et vraiment insouciante.
Je n’ai jamais douté qu’ils viendraient. Je n’ai même jamais eu peur d’être déçue. J’avais cette croyance invincible que je n’étais pas toute seule et qu’il y aurait toujours quelqu’un pour moi. L’exquise certitude qu’il y aurait toujours une voiture pour s’arrêter à mon niveau, et une portière qui s’ouvrirait sur un monde familier et chaleureux.
Quand on serait grandes
Le regard scrutant l’horizon, on ne voyait que lui au milieu de ce brouhaha quittant la gare. Alors que tout le monde avançait d’un pas machinal, il attendait fièrement l’air de dire « Il y a quelqu’un qui pense à moi, elle va venir. ».
Lorsqu’on devient adulte, plus personne n’est là pour venir nous chercher. Nous ne scrutons plus l’horizon dans l’espoir d’une venue réconfortante. Il faut se débrouiller seul pour avancer et recoller les morceaux. Cette promesse tacite qui transformait jadis le trottoir en terrain de jeux insouciants était en fait éphémère.
Depuis que je me suis lancée dans l’entrepreneuriat, j’amène tous les matins l’amoureux à la gare et je vais le chercher tous les soirs. Je suis donc devenue à mon tour, sans m’en rendre compte au début, l’instigatrice de ce rituel disparu. C’est en lui ouvrant la portière un soir que j’ai réalisé à quel point ce simple geste, cette porte ouverte comme des bras que l’on tend, pouvait faire du bien.
C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience du temps et du dévouement qu’impliquaient cette promesse tacite, universelle et éphémère. La promesse d’être toujours là. Et j’ai pensé à toutes ces personnes qui, faute de ne plus voir de portières s’ouvrir pour elles, en ouvrent pour les autres. Ces autres qui, trop heureux d’attendre avec leur meilleure amie, et bercés de douces certitudes, ne comprendront la valeur du geste qu’au moment où ils iront eux-mêmes chercher quelqu’un scrutant l’horizon.
Au moment où ils comprendront qu’en fait, ils ne sont jamais seuls.
Et vous, est-ce que vous ouvrez des portes pour les autres ?
Céline
Je reviens quelques années euh une dizaine d’année en arrière
Coucou, J’aime vraiment cet article : touchant et bien écrit, qui laisse à réfléchir… Merci 🙂 Bises. Elodie.
Belle découverte que ce blog. Quelle fraîcheur dans l’écriture. Bravo. Moi j’ai palin de monde à aller chercher : mon 2eme métier c’est taxi ^^
Coucou Céline,
Un bel article comme toujours, j’ai envie de dire 😉 Tu nous permets grâce à ton article de réfléchir à ce petit geste qui fait beaucoup de bien. Le fait de savoir que l’on vient nous chercher est à la fois sécurisant et rassurant. Je suis des deux côtés j’ouvre les portes aux autres et on m’en ouvre <3
Bonne journée et à bientôt
Un article très touchant, qui fait réfléchir…
Belle journée,